Marion Kalter

Photographs

DEEP TIME

DEEP TIME
MARION KALTER
EXHIBITION AT RUPERTINUM MUSEUM DER MODERNE SALZBURG
26 FEBRUARY_ 22 MAY 2022

https://www.museumdermoderne.at/en/exhibitions/detail/marion-kalter-deep-time/

Exhibition: ‘Marion Kalter. Deep Time’ at the Museum der Moderne Salzburg, Austria

 

https://hartmann-books.com/en/produkt/marion-kalter-deep-time-2/

http://www.marionkalter.com/marion_kalter_deep_time_traduction-4/

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Deep Time se refère à une époque qui remonte à mon enfance, à ce qui s’est passé avant ma naissance. (la seconde guerre mondiale et ses conséquences.)
Deep Time traverse aussi plusieurs continents et montre des photographies faites alors que je ne savais même pas que j’allais devenir photographe. Deep Time traverse une époque où les gens n’avaient pas l’habitude d’être photographiés, particulièrement à la campagne et encore plus dans la région où j’ai été élevée, dans la France profonde.
Il s’agit aussi toujours de rencontres, de hasards et de passions.
Très tôt j’ai été interessée par la peinture, la litterature, la poésie, la musique et j’étais très nerveuse à l’idée de ne pas savoir comment réunir tout cela. J’étais aussi très curieuse, et bien que très peureuse je voulais toujours me confronter à de nouvelles situations, de nouvelles personnes et de nouveaux pays.
Je suis née à Salzbourg six ans après la fin de la deuxième guerre mondiale.
Et bien que je n’aie jamais vécu à Salzbourg (aujourd’hui c’est mon second lieu de résidence), cette ville a été un point névralgique dans ma vie: c’est là que mes parents se sont rencontrés, où je suis née, où j’ai appris la mort de ma mère, où j’ai rencontré l’homme avec lequel je partage ma vie.
Mon père a du quitter l’Allemagne à l’âge de treize ans avec sa mère et sa soeur. Son oncle (et sa femme), qui était photographe de guerre officiel pendant la première guerre mondiale et qui travaillait dans l’entreprise familiale (négociants en vin à Bad Kreuznach) est resté en Allemagne jusqu’en 1940. Il était alors trop tard pour prendre le bateau vers l’Amérique. Il a dû prendre le transsibérien. Je possède le passeport qu’il a utilisé avec tous les tampons et visas.
Ma mère avait 16 ans lorsque la guerre a éclaté. Après avoir fini très jeune des etudes théatrales au séminaire Max Reinhardt, elle rejoignit très vite comme commédienne le KdF avec le Deutsches Reich (avant tout à Berlin, Varsovie et Riga) pour divertir les troupes. Je possède de nombreuses photos et documents de cette époque.
Ce qui m’a fait le plus mal plus tard est de savoir que ma mère jouait (sa compagnie s’appelait “ Das Kleine Wiener Magazin” non loin des lieux où des milliers/des millions de juifs ( entre autres) ont été assassinés de la manière la plus cruelle. C’est le thème du dernier chapitre de l’exposition que j’appelle “Different Trains” (6) en référence au quatuor de Steve Reich du même nom où il évoque ses traversées en train de l’Amérique en 1940 pendant que d’autres trains rejoignaient les camps d’Auschwitz et autres…
L’avant dernier chapitre est exactement “Deep Time” (5) pour moi. Cela commence par une photographie que j’ai faite de mes parents à l’âge de deux ans et demi. C’est un Kodachrome qui fut développé dans le laboratoire où ma mère travaillait à Washington DC: Il montre mes parents mais floutés, comme mes souvenirs de cette époque.
Plus tard on peut voir les premiers instantanés que j’ai faits avec le Brownie lorsque mes parents m’avaient envoyé seule à l’âge de 8 ans à Jersey dans une famille anglaise. La photo du dos de la mère (Mrs Minty) devant la porte est mon premier souvenir d’un portrait que j’avais fait.
A 16 ans je perdis ma mère et ma grand mère en l’espace de trois mois.
Ma mère m’avait donné son appareil photo et je les photographiais toutes les deux déjà malades. Ces négatifs ont été très mal conservés et ont pris des taches noires si bien que l’impression de l’usure et du temps se fait sentir (cela me fait penser au livre de Marguerite Yourcenar, “Le temps, ce grand sculpteur”).

Dans cette série il y a aussi une photo de moi sur une chaise-longue, la tête est devenue une surface noire. A l’entour on voit des horloges.
Après la mort de ma mère je restais seule avec mon père. J’étais interne au lyçée en France et pendant les vacances je rendais visite à mon père qui travaillait alors comme juriste pour l’armée américaine à Heidelberg, pas très loin de sa ville natale qu’il avait dû quitter si tôt.
Nous visitions souvent Bad Kreuznach, allions en randonnée dans les environs de Heidelberg.
Je n’oublierai jamais quand mon père un beau jour me déclara pourquoi tant de juifs n’étaient pas partis… oui, “ils n’avaient pas voulu quitter l’Allemagne” à cause de (nos) si belles forêts allemandes”…
Je lui rendis visite au bureau. Cela m’étonna beaucoup lorsque mon père sortit du tiroir un masque de Groucho Marx qu’il porta sur son visage… en arrière plan on pouvait voir la carte de l’Allemagne.
Dans ce même chapitre il y a une série de 18 photographies prises ces dernières années :
J’ai passé les deux premières années de ma vie aux Etats-Unis, pratiquement obligée:
Lorsqu’un américain épousait une autrichienne et qu’il y avait un enfant toute la famille devait retourner aux Etats Unis. J’avais trois mois quand nous avons pris le bateau pour les Etats Unis.
Mais ma mère ne voulut pas rester aux Etats Unis. Mon père trouva alors un travail en France, là où se trouvait la base militaire aérienne de l’OTAN la plus importante d’Europe: A Châteauroux.
C’est ainsi que nous avons atteris dans la France profonde.
Tous les objets, toutes les valises qui arrivèrent d’Amérique finirent au grenier de la maison où nous habitions. Le rouge à lèvres de ma mère, son parfum, les preservatifs de mon père et son kit de réparation pour rasoir, le sac à main de ma grand-mère attendaient dans les valises que j’ai commençé à ouvrir un demi-siècle plus tard.
Il y a aussi une photo prise à la fin des années 70 où je me photographie au grenier à côté des caisses et des valises.
Je rendis visite à mon père en Février 1995. Il vivait à Munich und nous sommes allés dans les rues, c’était la période de carnaval. Je pensais à la tradition du carnaval de sa région autour de Cologne.
Dans la dernière année avant que mon père ne quitte l’Allemagne il dût aller dans une école juive à Cologne car les enfants de son école lui lançaient des pierres.
Cette photo où mon père a les yeux fermés, les vêtements pleins de confettis avec le joueur d’orgue “aveugle” derrière lui est la dernière photo que j’ai prise de lui.
Je pris l’avion pour Paris le 2 Mars, le 5 Mars j’apprenais sa mort.

Il y a le chapitre suivant que j’appelle “Cadavre Exquis” (4). Ce sont des portraits et des rencontres de hasard. En tant qu’étudiante j’avais fait ma maîtrise à Paris autour du thème “ Les femmes et la créativité”.
C’était l’époque du MLF* et il y a une question qui me taraudait : Une femme peut-elle avoir des enfants ET faire de l’art ? Je fis des entretiens avec Meret Oppenheim, Chantal Akerman, Vieira da Silva et Gisèle Freund, par la même occasion je les photographiais.
La plupart de mes rencontres, quand elles n’étaient pas professionnelles étaient des rencontres fortuites: Je connaissais quelqu’un qui connaissait telle personne, etc…
Lorsque j’ai commençé à photographier ma rencontre avec le poète de jazz Ted Joans fut décisive. Il s’interessait au jazz, au surréalisme, à la peinture.
Il allait par exemple voir les surréalistes pour remplir un rouleau et faire un Cadavre Exquis. Chaque personne à qui il rendait visite devait (pouvait, avait la possibilité) de dessiner quelque chose. Puis on enroulait la feuille jusqu’a la personne suivante.
Un jour il alla chez Dorothea Tanning qui vivait alors à Paris. Nous étions invités à prendre le thé mais il y avait ce jour là un invité surprise qui habitait et travaillait chez elle. Ce jour là John Cage était en train d’écouter une bande magnétique sur magnétophone. Je me suis retournée, c’est ainsi que cette photo frontale a été faite.
Ou bien: un ami comédien jouait dans “Perceval Le Gallois” d’Eric Rohmer, pendant la pause j’ai pu faire son portrait.
Dans les années 80 j’a commençé à travailler pour la revue mensuelle “Le Monde de La Musique”.
Je retournais alors peu après dans ma ville natale où j’ai commençé à photographier professionnellement.
Au milieu des années 70 j’avais commençé les autoportraits. Je voulais en savoir plus sur moi-même; me mettre en scène, apprendre à connaître mon corps.
Les premières photos ont été faites en 1975 lorsque j’habitais l’été chez mon père à Heidelberg.
J’étais revenue en 1972 des Etats Unis où j’avais étudié les Beaux Arts. A cette époque je peignais et ne pensais pas du tout à la photographie.
Pendant que mon père travaillait au bureau je commençais à expérimenter avec l’appareil photo et le déclencheur automatique. Une fois nue, une fois habillée- je me sentais comme la mère au foyer qui attend son mari et remplit le temps. (Cette situation me fait evidemment penser à Chantal Akerman et au film qu’elle venait de finir, Jeanne Dielman, lorsque je l’ai photographiée.)
Lorsque je suis allée à Arles pour être interprète auprès des photographes invités en 1975 David Hurn a été une forte influence pour moi. C’est lui qui me poussa à expérimenter les autoportraits.
Ce fut l’époque où je retournais dans la maison familiale désormais inhabitée, là où j’avais passé mon enfance et où j’avais été tant aimée.
J’ai commençé à me mettre en scène dans les différentes pièces de la maison, de mettre les habits de ma mère, de fouiller un peu partout et redonner un peu de vie à ce lieu.
J’ai nommé cette série “HERSTORY” (3). Elle m’a accompagné toutes ces années.
En 1974 je rencontrai Ted Joans, un beatnik et poète de la première heure qui vivait entre Paris et Tombouctou. C’est avec lui que je commençais ce qu’il appelait ma “Teducation”.
Bien plus tard j’ai sorti le livre “All around Ted Joans” (2).
Beaucoup d’évènements se passaient à la librairie “Shakespeare and Company”. Un soir c’est Anaïs Nin qui venait dédicacer son livre ou bien Lawrence Ferlinghetti était en ville. C’est aussi grâce à Ted Joans que j’ai eu mon premier “boulot”:
Je travaillais dans la première galerie/librairie photographique à Paris, “La Photogalerie”. Ted connaissaist l’éditeur Eric Losfeld dont la fille travaillait à la galerie.
Cette expérience a été un déclencheur décisif pour moi. Un étage au dessus se trouvait le magasin “Gilles Faller” qui vendait des chambres photographiques en bois et au deuxième étage se trouvait l’agence Magnum. Tous venaient à la galerie/librairie. Je me souviens que le propriétaire, Georges Bardawil avait organisé des expositions de Manuel Alvarez Bravo, Emmet Gowin ou Jean Demachy.
Il y avait aussi un restaurant attenant. Je me sentais chez moi comme jamais et j’ai compris à partir de là que la photographie deviendrait ma langue intime.
Cinq années auparavant furent crées les Rencontres d’Arles. Comme je parlais l’anglais et l’allemand on me proposa en juillet 1975 de faire l’assistance et la traduction pour les photographes invités.
Cette année là furent invités Ralph Gibson, Eva Rubinstein, Floris Neusüss, William Eugene Smith, etc… Ce fut la même chose l’année d’après avec Mary Ellen Mark, David Hurn, Charles Harbutt, Duane Michals, Guy le Querrec, etc…
Je n’oublierai jamais la fameuse journée où le photographe Jean Pierre Sudre mit sa piscine à disposition pour le workshop de la journée autour du nu et où étudiants et modèles étaient nus.

Dans une des salles de bains je commençais à faire des autoportraits.

Mais revenons au début:
Pendant que je faisais les traductions j’apprenais évidemment aussi pour moi-même.
La rencontre avec les photographes de l’agence Magnum fut décisive et m’initia à la photographie de rue.
D’où mes premières photographies de rue. Tout d’abord dans les environs du village où j’ai grandi, chez les paysans où on m’envoyait chercher le lait, où les chiens étaient enchaînés leur vie durant.
L’urbain et son anonymité avaient aussi un certain charme pour moi. Puisque je n’avais jamais étudié la photographie (j’avais étudié la peinture…) peu m’importait si je photographiais en contre-jour ou dans des coins obscurs.
“Vieille France”, (1) cela voulait dire que ma rencontre avec la photographique a été l’occasion unique de me confrontrer au “regard ingénu”. Depuis il y a eu environ 46 années qui ont traversé mes veines, mon corps et mon regard et je contemple aujourd’hui le journal visuel intime de ma vie avec grande joie et bien sûr je trouve plus que jamais encore le plaisir de photographier.

*MLF: Mouvement de libération des femmes
les mots en italiques se refèrent à des photographies.

Deux remarques et détails concernant la biographie de mes parents qui éclairent la thématique “Different Trains”:
Mon père est devenu américain en 1944 et c’est en 1947 qu’il retourne en Europe comme assistant sur le proçès IG Farben aux Proçès de Nuremberg. S’en suivirent le travail pour l’OTAN successivement à Salzbourg, Châteauroux puis Heidelberg.

Il y a peu de temps je suis tombée sur une lettre écrite par ma mère (jamais envoyée) à son frère où j’appris que son père, “Kommerzialrat” (titre honorifique dans le commerce) et directeur de l’hôtel Parkhotel (en face de la gare Südbahnhof) qu’il possédait et dirigeait à Vienne avait fait faillite en 1932 lorsque ma mère avait 9 ans.
Elle a dû gagner sa vie très jeune entre autres aussi pour subvenir à ses parents. Une explication qui éclaire peut-être le fait que ma mère ait coopéré “passivement” à la folie nazie. Ses meilleurs amis étaient Bernard Wicki (qui est devenu réalisateur) et Susie Gerstner dont le père juif a été emporté et assasiné.