Marion Kalter

Photographs

About Music

I browse through this rich album and I doubt that many people will run thru it  with the same feelings as i am going thru.Many of these artists trapped here by  the lens, I have known them, been in touch with them, some more and some  less. With some of them I have worked and kept souvenirs that are deeper than  just a simple meeting. To this, one can add all those that have passed away,  always more as the years go by, so that i think of the words of Paul Claudel, the  almanach of Josaphat… But happily, there are enough of them living, so that the memory still is nourished by the present. From a less personal point of view I have a tendency to  classify these portraits into two distinctive categories : those taken as snap- shots, captured in full action, direct witnesses, accomplishing their professional  gesture, necessarely without preparation; then those, probably no less instantaneous, that require a moment of suspension,of posing, thus provoking parade or mistrust.  Often, before an orchestra rehearsal, the photographer asks me if I allow him to  take pictures during a working session and I always answer: Yes, but only if it  doesn’t prevent the communication I need to have with the musicians. Because,  after a very short lapse of time one gets fully implicated in one’s work without  restriction, which is even faster and deeper if there is an important technical  work to accomplish: The lens of the photographer and the photogra-pher  himself disappear totally from one’s mental landscape: Thus one gets to be  revealed in the sharpest way. The other portraits are no less revealing. I spoke of parade or mistrust : this is  probably a little exagerated. But still, the subject is absolutely conscious as well  of the lens as of the person that manipulates it. This leads necessarely towards  an attitude, wathever it may be, that reveals if not the caracter of the observed  person, at least one of those reactions one appeals to in order to ” outface “… One could go deeper into restricted domains: the artists on one hand who are  used to be photographed, opera singers, for example have chosen for  themselves a certain behaviour.  The “outfacing” act is being facilitated for them through habit; on the other hand  the artists, the composers for example captured in their homes where they feel  protected, in another way, by their environment that is familiar to them: this en- vironment describes them as well as it absorbs them. And what about the photographer, this mute and privileged interlocutor to which  one is linked thru a very shortlived agreement? it is his talent, perchance his  genious, to capture the instant where all the parameters come together, not  really to reveal what is unsuspicious-it is seldom his role- but rather to reveal the  instant that will surpass the instant. This moment is not frozen, it is caught. Wether it is the professional instant or  the everyday instant, these portraits are a “chosen landscape ” to cite Verlaine.  In this landscape, one strolls, one stops thru it, one looks at the details, one  analyzes them, one rebuilds its synthesis, in one word one adds a dimension of  time that will enrich this captured presence. To browse thru the album of marion kalter is much more than to look at portraits  of musicians, maybe still lifes (instruments or scores), it is to enter in deep contact with the impenetrable world of music and musicians.

Pierre BOULEZ Paris,
december 2006

Je feuillette ce riche album – et je doute que beaucoup de personnes le  parcourent avec les mêmes sentiments que ceux que j’éprouve. Beau- coup de ces artistes ici piégés par l’objectif, je les ai connus, relativement  peu ou beaucoup fréquentés. Avec un certain nombre d’entre eux j’ai  travaillé et gardé des souvenirs plus profonds que ceux d’une simple ren- contre. A tout ceci s’ajoutent les disparitions, plutôt nombreuses après tant  d’années, si bien que je pense au mot de Claudel, le Bottin de Josaphat …  Mais, heureusement, il reste suffisam-ment de vivants pour que les  souvenirs soient encore nourris par le présent. D’un point de vue moins personnel, plus distant, j’ai tendance à classer  ces portraits en deux catégories bien distinctes: ceux, instantanés, saisis  en pleine action, témoins direct, saisis dans le geste professionnel, dans le  comportement forcément sans apprêt ; ceux, probablement non moins  instantanés, qui supposent un moment de suspension, de pose, provo- quant ainsi la parade ou la méfiance. Souvent, avant une répétition d’orchestre, le photographe me demande si  je l’autorise à prendre des clichés pendant le travail et je réponds toujours  : oui, pourvu qu’il n’y ait pas interférence dans la communication que je  dois avoir avec les musiciens. Car, au bout d’un très court laps de temps  on s’implique totalement dans le travail, on s’immerge dans l’œuvre sans restriction, ce qui est encore plus rapide et plus profond s’il y a un  gros travail technique à fournir ; l’objectif du photographe et le photo- graphe lui-même disparaissent alors totalement du paysage mental : c’est  ainsi qu’on est révélé de la façon la plus aiguë. Les autres portraits, n’en sont pas moins révélateurs. J’ai parlé de parade  ou de méfiance : cela est, peut-être, légèrement exagéré. Mais, tout de  même le sujet est absolument conscient, à la fois de l’objectif et de la  personne qui le manipule. Cela engendre nécessairement une attitude,  quelle qu’elle soit, révélatrice sinon du caractère de la personne obser- vée, tout au moins de ces réflexes auxquels il est en train de recourir pour  “faire face”. On pourrait s’attacher encore à des domaines plus restreints : les artistes  d’une part, qui ont l’habitude d’être photographiés, interprètes d’opéra,  entre autres, ont décidé en eux-mêmes d’un certain comportement – le  “faire face” leur est facilité par l’accoutumance ; d’autre part, les artistes,  compositeurs par exemple, saisis dans leur domicile où ils se sentent  protégés, d’une autre façon, par l’environnement familier : cet environne- ment les décrit autant qu’il les absorbe. Quid du photographe, cet interlocuteur muet et privilégié auquel vous lie  un pacte de très courte durée ? C’est son talent, voire son génie, de capter  l’instant où tous les paramètres sont réunis pour révéler non pas tellement  l’insoupçonnable – c’est rarement son rôle – que l’instant qui dépasse  l’instant : l’instant non pas figé, mais saisi. Qu’il s’agisse de l’instant  professionnel ou de l’instant du quotidien, les portraits sont un “paysage  choisi”, pour citer Verlaine. Ce paysage, on y flâne, on s’y arrête, on  regarde les détails, on les analyse, on en refait la synthèse, bref on y  ajoute une dimension du temps qui enrichit cette présence arrêtée. Feuilleter l’album de Marion Kalter c’est bien plus que regarder des  portraits de musiciens, voire des natures mortes (instruments ou  partitions), c’est entrer en contact profond avec le monde insondable  de la musique et des musiciens.

Pierre BOULEZ Paris,
décembre 2006

Ayant un lien de parenté avec Kurt Weill par mon père, d’origine viennoise par ma mère, par ailleurs née à Salzbourg dans une famille mélomane et élevée aux Etats-Unis et en France, j’avais de fortes prédispositions pour la musique, bien que n’étant douée pour aucun instrument en particulier. Jeune femme, mes deux meilleurs amis étaient pour l’une choriste à l’Opéra Garnier et pour l’autre clarinettiste américain lié à Nadia Boulanger et à Aaron Copland. J’ai fait des études d’histoire de l’art aux Etats-Unis et en Italie, et j’ai pratiqué la peinture. Cette attirance pour l’image s’est déplacée sur la photographie. Ma famille était exilée, polyglotte. Je suis devenue orpheline à l’adolescence, j’ai donc à travers la musique à la fois retrouvé une ambiance cosmopolite et reconstitué une famille. La plupart des photos existantes sur la musique sont des portraits mis en scène ou des photographies de spectacle, généralement prises à l’occasion des dernières répétitions. Dans la musique, il y a un principe absolu : pas de bruit et ne jamais déranger le travail en cours. Dérogeant  à la règle, je me suis souvent immiscée dans ces séances, et très tôt, j’ai inscrit mon travail dans une démarche de «présence-absence ». Ce qui m’attirait , c’était le travail en cours d’élaboration, à l’instar d’une cuisine de grand chef délicieuse dont on veut connaître le secret des recettes. Ce qui m’a conduite à photographier les premières répétitions, les coulisses et la transmission d’une tradition séculaire. Telle une collectionneuse, je glanais au fur et à mesure de mes voyages, ces moments précieux en éprouvant la jouissance du « kleptomane ». J’aime ce proverbe gitan qui dit : « On possède ce que l’on voit ». Musique et photographie n’ont pas besoin de traductions, ils traversent les frontières. Mon travail traduit mon désir de faire partager ces moments d’intimité entre les chefs et les instrumentistes, les jeunes prodiges et les grands maîtres, avec les divas dans les coulisses de grands théâtres.  Des moments fugitifs qui se déroulent comme un fil d’Ariane pour parler de la musique.

Marion Kalter


john cage à paris en 1981 john cage in paris in 1981